“It’s good to see your empathic side”
L’empathie dans l’art de Léna Mačka

INVITATION AU REGARD INTÉRIEUR PAR L’EXPRESSION DE LA FORME ET DE LA COULEUR

Considérée par Kohut comme une sorte “d’introspection à la place d’autrui”, l’empathie offre le pouvoir de comprendre et de faire l’expérience des sentiments de l’autre. C’est en ces termes que Léna Mačka propose une série d’illustrations dans lesquelles ses personnages traduisent la volonté de n’être que le reflet de leurs spectateurs. Le symbole, le trait et l’espace, forment alors une scène de genre où se joue la rencontre entre la créatrice et les destinataires de son oeuvre.
Elle transfigure ses signifiants : le masque, le miroir, le visage, s’inscrivant dans un protocole stylistique et visant à aspirer le “persona” (en latin “masque” que portaient les acteurs sur scène) du regardant.

De l’obscurité au chromatisme vif, son dessin effeuille les couches superposées de nos existences sociales. C’est aussi sous l’influence du Fauvisme et notamment de Matisse que Mačka tend à exprimer l’être dans toute sa nudité par des compositions aux formes simplifiées et aux couleurs vives.

L’empathie en art peut se traduire comme une expérience sensible. Pour Léna Macka, l’importance de traiter ce sujet réside dans un engagement profond quant au domaine du social. Son processus de création prend essor à travers une introspection vis à vis de ses expériences sociales personnelles. Elle imagine ainsi des situations souvent surréelles inspirées de son environnement, dans le but de figurer et partager des émotions particulières.

Ce phénomène d’empathie prend son essence dans la sensibilité propre de l’artiste, traverse la feuille des expressions, pour ensuite transmuter vers son spectateur. Voici ce que l’étude des comportements empathiques de Theodor Lipps, dont parle notamment Stefania Caliandro dans son article “Empathie et esthésie : un retour aux origines esthétiques” rédigé en 2004, nous dévoile :

“C’est​ ​en​ ​effet​ ​au​ ​sens​ ​interpersonnel,​ ​d’échange​ ​et​ ​contact​ ​entre​ ​les​ ​sujets,​ ​que​ ​la​ ​notion [d’empathie]​ ​a​ ​surtout​ ​été​ étudiée​ ​en​ ​psychologie​ ​et​ ​en​ psychanalyse​ ​depuis​ ​le​ ​début​ ​du​ ​XX​e siècle.​ ​Or​ ​tel​ ​n’est​ ​pas​ ​le​ ​premier​ ​sens​ ​de​ ​l’empathie​ ​:​ ​le​ ​mot​ ​​Einfühlung,​​ ​employé​ ​pour​ ​la première​ ​fois​ ​en​ ​1873​ ​par​ ​Robert​ ​Vischer,​ ​désigne​ ​la​ ​relation​ ​esthétique​ ​qu’un​ ​sujet​ ​peut entretenir​ ​avec​ ​un​ ​objet,​ ​une​ ​œuvre​ ​d’art,​ ​le​ ​monde​ ​environnant.” 1

Theodor Lipps, philosophe allemand spécialisé en art, distingue, dans son ouvrage “Esthétique”, quatre types d’empathie qui selon moi peuvent s’appliquer à l’expérience que l’exposition​ ​“It’s​ ​good​ ​to​ ​see​ ​your​ ​empathic​ ​side”​ ​nous​ ​propose​ ​:

1. « L’empathie aperceptive générale », qui définirait la tendance à projeter de la vie dans des formes et ainsi de se transposer en leur sein. Cette forme d’empathie correspond au dialogue entre l’image et l’individu. C’est à dire au fait que le spectateur face à l’oeuvre, ou lors d’une lecture de roman par exemple, tente de transfigurer son corps, de ce fait son essence vitale et sa conscience, au sein du récit pictural ou narratif afin de pouvoir le comprendre. Ici, Léna Macka tient cette volonté d’entretenir une dialectique entre l’oeuvre et son regardant, et soulève des questionnements par son contenu imagé sur le comportement et sentiments humains. Ces questionnements restent bien sûr subjectifs et variés mais le processus d’identification par la non individualisation du personnage dessiné soutient cette idée. Le but étant​ ​alors​ ​de​ ​questionner​ ​le​ ​spectateur,​ ​vis​ ​à​ ​vis​ ​d’une​ ​situation​ ​ou​ ​d’une​ ​action​ ​donnée.

2. « L’empathie empirique », incontestablement lié à la première forme théorique de Lipps, correspond à une autre phase de questionnements pour ma part. Un échange entre l’oeuvre et son observateur qui ne prendrait pas en compte la dimension introspective de ce dernier mais qui au contraire, susciterait une curiosité sur le personnage lui même. Que fait il ? Où est il ? Que ressent il ? A partir de ces interrogations, découle la transfiguration de l’individu dans le personnage. Cette forme d’empathie est également en lien avec l’animation de la nature. Elle caractérise alors un comportement qui serait en relation avec une forme qui le détermine.

“Le​ ​sujet​ ​parvient​ ​ainsi​ ​à​ ​se​ ​projeter​ ​même​ ​en​ ​des​ ​formes​ ​inanimées,​ ​il​ ​se​ ​trouve​ ​transféré et​ ​transformé​ ​dans​ ​ce​ ​non-moi​ ​qu’il​ ​contemple.​ ​Il​ ​lui​ ​attribue​ ​les​ ​valeurs​ ​des​ ​passions humaines​ ​que​ ​cette​ ​incorporation​ ​objectale​ ​suscite​ ​en​ ​lui.​ ​Cette​ ​relation​ ​empathique​ ​est donc​ ​aussi​ ​à​ ​l’origine​ ​de​ ​la​ ​personnification​ religieuse,​ ​de​ ​l’anthropomorphisme​ ​animal​ ​et​ ​de l’animisme​ ​végétal​ ​qui​ ​ont​ ​marqué​ ​la​ ​fantaisie​ ​mythique​ ​et​ ​l’imaginaire​ ​esthétique.” 2

3. « L’empathie d’état d’âme », qui aurait un rapport à l’aspect purement formel d’une oeuvre. Cela spécifie l’expérience esthétique dans le sens où la couleur et la forme, dans le cas d’une oeuvre picturale, enverraient des signaux visuels qui participeraient à une interprétation propre à chaque spectateur. Le choix de l’aplat et la simplification des formes chez Mačka, peuvent faire écho aux grands mouvements artistiques du XX° siècle tels que le Fauvisme par exemple, pour l’application de couleurs vives de façon arbitraire. La couleur en art possède son propre champ sémiologique et nous savons qu’elle peut avoir un effet sur le cerveau ou le comportement selon les sujets. C’est surtout dans ses compositions et ses formes que l’artiste tend à faire passer des messages.

4. La quatrième approche théorique de Lipps est en rapport avec la relation au sens propre du terme qui se forme entre les êtres humains et qui crée une manifestation consciencieuse des caractères physiques et biologiques. L’empathie peut donc être favorisée ici par la présence de formes s’apparentant au corps humain et des actions auxquelles ces corps s’adonnent. L’empathie résulterait donc de l’assimilation des formes dessinées à leur propre corps.

  1. Caliandro Stefania, « Empathie et esthésie : un retour aux origines esthétiques », Revue française de psychanalyse, 2004/3 (Vol. 68), p. 791-800.

  2. Ibid.

“It’s good to see your empathic side”, exposition à la Galerie Superposition et sa rue.
11 Rue Longue 69002 Lyon - Du 17 Novembre au 18 Décembre 2017.

LÉNA MAČKA